Fil de Vie

Clap clap clap clap
Silence.
De nouveau, clap clap clap clap.
Petits souliers martellant le sol de la tour, dont la pierre mousseuse n'empêchait pas le résonnement intense des pas.
Clap clap clap clap.
Sourire machiavélique, enfin, sourire qui se voulait heureux, mais masqué par les habitudes vampiresques.
Clap clap clap.
Soupir etouffé, lèvres entrouvertes, haleine craintive et suave, elle arrive.
Clap clap.
Bas de robe noire jouée de dentelle blanche, tachée de sang, frôle la roche. Elle arrive.
Clap.
Elle est là

La vampire avança, mais cette fois-ci, moins bryamment. Son pied carressait à peine les dalles sales de la Tour de l'Alchimiste dans un silence épais. Elle jeta un coup d'oeil autour d'elle ; on ne pouvait aller plus haut dans cette tour, dommage... Elle ferma les yeux, et s'oublia un moment.
Quand elle les rouvrit, elle avait instinctivement changé de place pour laisser s'envoler ses pensées miséreuses dans la nuit. Ses petits bras, croisés, posés sur le rebord de pierre de la fenêtre - à dire d'une ouverture dans la roche - , sa tête, posée sur son épaule droite, lui donnaient encore cette sensation de n'être qu'une enfant innocente, ce qu'elle n'était plus depuis plusieurs siècles. Une enfant... Quelle utopie ! L'enfant n'est qu'un être se débattant dans l'innocence et le manque de savoir, il était futile et fragile, et n'avait aucune utilité auprès de l'humanité. Si seulement on pouvait abolir l'enfance d'un être... A propos... Pourquoi pas ? Pour elle, Drake et Méphystrophélès, ce serait sans doute assez simple. Ah non, c'est vrai, elle oubliait ; Drake et Méphysto avait eut un "petit accrochage". Rien de grave, entre autres, sauf que l'Empereur avait plongé son alchimiste dans un coma profond. Tss... Quel rancunier, comme elle, en quelque sorte...
Oui, elle était rancunière, mais pour un humain, c'était simple de pardonner ! Au bout de quelques années, les souvenirs sont effacés, alors qu'elle, avec sa mémoire de vampire, elle ne pouvait rien oublier... Rien...
Soudaine, une réminiscence fit surface dans son cerveau... Un mauvais, très mauvais souvenir... Elle se souvenait de la seule et unique fois ou un garçon l'avait invitée à jouer, un sourire timide sur les lèvres, balbutiant, les joues recouvertes d'un voile rouge. Oui, ce petit garçon là, le traître, le lâche... Comme elle le haïssait, à présent...

Comme si ce n'était pas à elle qu'on s'adressait, Amylin s'était redressée, avait regardé autour d'elle et avait posé un doigt de couleur encore saumon sur elle-même
"Moi ?"
Il s'était alors détendu, décrispant tous ses muscles d'un coup, souriant jusqu'aux lèvres, radieux.
Quel hypocrite.
La petite fille avait regardé une fois encore autour d'elle et s'était levée, tandis que le garçon lui désignait un coin dans la cour. Frissonnants, les deux enfants avaient couru dans la direction, enfonçant sur leurs oreilles leurs petits bonnets, resserrant leurs écharpes et soufflant dans leurs mouffles, offerts par l'école.
Pourquoi, ô pourquoi l'avait-il forcé à détester la race humaine à ce point ?
Oui, pourquoi avait-il fait ça ?
La sensation de dégoût envahissait son corps tandis qu'elle se laissait faire, tapis dans ce même coin, une dizaine d'enfants s'étaient jeté sur elle, l'insultant de tous les noms, lui crachant dessus, arrachant son écharpe, ses gants et son bonnet, lui jetant pierres, brindilles, et autres saletés qu'ils avaient ramassés dans une poubelle.
Lâches...
Lorsque le maître était arrivé, éparpillant les enfants qui restaient, un triste spectacle s'offrait à lui ; la petite fille, dénudé du peu de vêtements qu'elle possédait, n'avait pas cherché à se défendre. Recouverte de plaies, de crachats et autres impuretés, elle grelottait, sanglotant doucement, comme si on la réveillait d'un cauchemar.

Amylin serra les dents, les humains paieraient ! Elle le jura, alors que ses ongles solides pénétraient la pierre. la griffant de tous ses ongles, avant de s'apercevoir que la rage l'avait poussée au bord même de la fenêtre. Sur le point de tomber, elle retint son souffle avant de se redresser brutalement. Elle était, un instant plus tôt, comme une funambule exténuée sur son fil de vie. Enfin... Un vampire ne mourrait pas comme cela, n'est-ce pas ?
Pourtant, la vampire possédait encore quelques unes ses sensations humaines, et celles-ci lui soufflaient à l'oreille qu'elle avait été sur le point de mourir, et cette idée ne l'avait même pas touchée...