Dort...

Etendu au beau milieu du hall aux miroirs, il dort. C'est un jeune homme aux cheveux sombres, aux paupières closes et à la bouche entrouverte. Un de ses bras est presque tendu vers le mur, la main ouverte comme pour se saisir d'un reflet illusoire, le tissu de sa chemise remonté au coude. L'autre, replié sur sa poitrine, est encore courvert par le vêtement, sa main droite est posée sur con coeur, à l'endroit où fleurit une tache rouge sombre. Ses jambes sont en désordre, il semble être tombé. A demi pliées, l'une sur l'autre, ses pieds sont nus.

Sur ses cils, des grains de poussière se sont déposés, mais sa paupière reste immobile. Sa poitrine ne bouge pas, ou si peu. De faibles et irrégulières secousses font trembler la main qui repose sur sa poitrine, son coeur bats fort, il sait qu'il n'en a plus pour très longtemps...

Il s'est tu. Plus rien ne bouge dans la pièce. Les mille miroirs renvoient mille jeune garçons étendus, immobiles. Le seul mouvement est celui de la tache, du rouge qui progresse encore, petit à petit, qui s'élargit. Mais celà non plus ne dure pas. Voilà. C'est fini. Pas un geste. Pas un bruit.

Là-bas, sur le champ de bataille, ils se battent encore, mais lui en a finit. Dès les premiers tir, le jeune homme est tombé, son dernier cri est mort dans sa gorge, ses yeux si noirs se sont voilés. Le nez dans l'herbe verte, il ne sent déjà plus la douleur, il ne voit plus le sang des autres qui tache la paisible plaine, il n'entend pas les coups de feu qui pleuvent, non, il est seul, il dort. Le vent agite paisiblement les feuilles et ses cheveux, c'est le printemps, cela sent bon, et les pépiements des oiseaux le bercent... Qu'il est bon de dormir, couché dans l'herbe folle...

Froid. Ce n'est plus le printemps. Ici, rien ne bouge, les miroirs glacés renvoient à l'infini la même image, sans vie. Le carrelage résonne d'un silence de mort. Le temps est figé. Plus jamais, rien ne bougera ici. La vie ne sera plus. Ce lieu est mort, il l'a toujours été, malheur à celui qui passerait la porte...

Dans le sommeil d'Hypnos, le printemps règne toujours. Dans la galerie, la tache fonce peu à peu, le corps n'est pas froid, il se chauffe encore au soleil de ses rêves. Lui sommeille au milieu des fleurs de printemps. Il fait bon, jamais il n'a dormi aussi bien. Et tout à coup, quelqu'un éteignit toutes les lumières du monde.

* * *

Hypnos ouvrit péniblement les yeux. La poussière s'envola de ses paupières entrouvertes. Il se redressa un peu et voulut passer la main dans ses cheveux. Berk, sa main était poisseuse. Du sang ? Hypnos regarda sa chemise tachée et soupira. Encore un de ces cauchemars idiots où il finissait par mourir. Il cligna des yeux. La tache avait disparu. Appuyé sur ses coudes, les cheveux en bataille, il observa le hall. Vide. Non ? Quelqu'un bougea, un soupir retentit dans le long couloir vide. Hypnos tourna la tête. Qui... ?

[ si ma compagnie ne te dérange pas ]

Un soupir résonna tandis que Gràinne avançait d'un pas traînant dans le Hall aux Mille Miroirs. Dans son dos, les deux cicatrices, témoins de ses ailes passées, étaient encore enflammées, rendant son sommeil difficile. Alors, elle marchait. En soupirant, en s'ennuyant. Pas envie de s'entraîner, pas moyen de sommeiller... Aprés un temps de réflexion, l'Etre Céleste commença à chanter, doucement, pour elle seule, afin de passer le temps.

_ Bienvenue dans ma chambre
Je ne vous attendais pas
En si grand nombre
Pleurer sur mon corps froid
Pourquoi dans mes heures sombre
N'étiez-vous pas là ?

Juste un couplet, chanté doucement, et elle se tut. Il y avait quelqu'un non loin, quelqu'un qui aurait pu - qui avait pu - l'entendre. La guerrière se rapprocha, observant de ses yeux bleus vif l'inconnu. Elle ne l'avait jamais vu auparavant... Qui était-ce ?

_ Que faites-vous là ? Qui êtes vous ?

Chassez les habitudes, elles reviennent au galop. Gràinne observait, immobile, à quelques mètres du jeune homme. Le sommeil avait définitivement disparu pour ce jour, elle avait la main prête à user de l'éventail qui pendait à son poignet. L'objet semblait sans importance, et était dangereux. Il pouvait en être de même pour cette personne à l'air ensommeillé.

L'Etre Céleste finit par lâcher un nouveau soupir, ôtant sa cape de velours noir et la tendant à la personne au sol. La Guerrière portait désormais une simple jupe de velours blanc, et un corsage noir brodé de blanc. Une grimace qui ressemblait plus ou moins à un sourire se dessina sur son visage. Décidément, elle s'était apaisée.

_ Vous devez avoir froid, le sol est glacé. Prenez...

Elle avait heureusement eu l'idée de revêtir quelque chose de plus chaud que son ample chemise de lin. Impassible, le visage à nouveau neutre, elle attendait posément que l'inconnu la prenne, tout en s'étonnant intérieurement qu'il puisse dormir dans un tel leu, une telle posture. Il y en a qui avaient de la chance...

[no problem ^^]

Raisonnons avec logique. Si Hypnos s'était réveillé, ça n'était certainement pas pour rien. C'était même sans doute pour une bonne raison. Vu que personne ne l'avait secoué avec insistance, ne lui avait hurlé dessus et vu que Teddy [réquisitionné par la paresse] ne lui avait pas sauté dessus, ça ne pouvait être que sa fonction première qui l'avait éveillé. Au début, il avait été conçu pour se réveiller à chaque fois qu'un être cherchait le sommeil sans le trouver. Sauf que personne n'avait prévu qu'il dormirait si fort... Depuis longtemps, seuls les insomniaques invétérés le réveillaient. Et encore, quand ils n'étaient pas trop loin de lui. Le reste ne suffisait pas à le tirer de ses rêves.
Donc, vu qu'il était réveillé, un insomniaque chronique rôdait dans le château. Quelle idée aussi, de s'endormir en plein milieu du Hall... Forcément, le château était l'endroit où les insomniaques faisaient légion...
Mais là, il n'avait vraiment pas envie du tout de se lever pour partir à la recherche de celui ou celle qui avait le Sommeil difficile. Ca tombait bien, parce qu'une voix fit résonner le Hall, quelques notes distordues par l'écho dont il ne chercha même pas à comprendre la signification. Service à domicile, hein ? Tant pis, il allait devoir se lever, cette fois ci.

- Que faites-vous là ? Qui êtes vous ?

Charmant. On venait pour aider, et voilà un accueil qui donnerait presque envie de se rendormir...

- Vous devez avoir froid, le sol est glacé. Prenez...

... et si en plus on lui proposait une couverture... Non, fallait bien qu'il serve à quelque chose, de temps en temps. Il s'étira avec un long baillement puis, avec un gros effort, se leva et épousseta la poussière qui s'était déposée sur lui pendant son sommeil. Il planta ses yeux de nuit dans l'azur des iris de la jeune femme.

- Non merci, c'est gentil, mais je n'ai pas froid. Tu en a plus besoin que moi. Je suis Hypnos. C'est bien toi qui m'a appelé ?

Il bailla à nouveau longuement. Le fait que Gràinne puisse ignorer qui il était ne lui avait pas traversé l'esprit une seule seconde. Ben oui hein, on ne peut pas à la fois dormir et développer ses capacités de réflexion...

Gràinne ne put s'empêcher d'esquisser un sourire surpris devant la présentation atypique... d'Hypnos ? Le Sommeil au château ? Pas étonnant qu'il ait été en train de dormir. Même lors de la bataille, il avait dû piquer un somme. Certains avaient de la chance, quand même !
Se reculant et reprenant sa cape, qu'elle lança d'un geste gracieux et habitué sur ses épaules, les plis retombant autour d'elle et revenant à leur place initiale, la courtisane esquissa une révérence avant de se présenter. Le sommeil la fuyait et voilà qu'elle se trouvait face à la divinité censée le représenter... Quelle chance !

_ Si je vous ai appelé, c'était bien involontairement ! De plus, j'aurais tendance à penser que votre venue est plutôt liée à un des gardes faisant normalement leur ronde qui doit songer un peu trop fort à la chaleur de son lit.

Le visage doux de l'Etre Céleste était redevenu impassible tandis qu'elle faisait quelques pas, se plaçant face à l'un des miroirs et y passant sa main, songeuse. Pouvait-elle réellement avoir appelé le Sommeil à la rescousse ? Certes, son dos était douloureux, mais les cataplasmes et potions qu'elle prenait rendaient la brûlure surpportable. La douleur était plus mentale que physique. Se dire qu'elle avait perdu ses ailes pour rien , qu'elle devait encore cotoyer ces deux folles sans le moindre respect pour la vie. Gràinne, elle, respectait celle des enfants, Eda en était le parfait exemple. Rosalie et Titanya ne respectaient rien ou presque. Qu'elle les maudissait désormais, qu'elle regrettait sa place élevée dans la Garde !

_ Enfin, il est vrai que mes cicatrices m'empêchent de dormir. Mais je doute que vous puissiez y changer quelque chose !

Il était peut-être Hypnos, Dieu du Sommeil, mais elle voyait difficlement ce qu'il pourrait faire pour elle, à part peut-être dormir à sa place ?

Hypnos secoua la tête, les yeux fermés, et eut un mal fou à les réouvrir. Il bailla encore.

Les gardes ? Non, ils font ça tous les soirs et ça a encore jamais suffi à me réveiller.

Hypnos s'étira et bailla une nouvelle fois. Ses yeux brillaient, remplis d'étoiles (au sens propre ><) Ca faisait longtemps qu'il n'avait pas été aussi bien réveillé. Parce que les réveils dûs à sa mission étaient peut être plus insistants que les réveils ordinaires... Il se campa sur ses deux pieds et observa le couloir à la ronde.

C'est joli chez vous. Bien sur que je peux te faire dormir ! Celui qui me résistera n'est pas encore né. Mais si ça ne te dérange pas, j'aimerais bien rester encore un peu debout, avant de me rendormir. Et tant que je ne t'aurais pas endormie, je resterais éveillé. Enfin, sauf si je suis vraiment trop fatigué.

Et même pas un baillement. Quiconque l'avait déjà croisé l'aurait cru malade à cet instant précis. Rester encore debout ? Oui, là il fallait vraiment que ça soit sérieux... Mais en fait, pas du tout ! Raisonnons une fois encore logiquement. Comme tous les êtres, Hypnos a besoin de sommeil quand il est fatigué. C'est juste que chez lui, ça prenait des proportions assez remarquables. Après une fatigue de deux heures de veille, il dormait un mois. Certes.
Et puis, fallait avouer qu'il aimait dormir. Donc, soyez logique ! Non, vous ne voyez pas ? Bon, je vais tout vous dire. Hypnos dort depuis longtemps là, par terre. Donc il est encore fatigué, mais à peine pourra-t-il dormir deux semaines encore... Vous croyez qu'il va laisser faire ça ? Peuh ! Petits joueurs... Non, Hypnos ne veut pas faillir à sa réputation (et puis surtout il aimerais bien retrouver Teddy avant de se rendormir) alors veiller quelque temps lui permettra de dormir bien plus longtemps ! (et bien plus confortablement, aussi, s'il récupère Teddy, l'oreiller apprivoisé.)

Dis, tu saurais pas où est Kathisio, la Paresse ?

Hé oui, vous l'avez peut être compris, encore une fois, Hypnos ne se préoccupe pas le moins du monde de la possibilité de ce qu'il demande. Il y a une chance sur trois milliards qu'elle sache où est Léda ? Et alors ? Ca coute rien de demander après tout. En soi, il n'a pas tout à fait tord... Enfin, il lui arrive quand même de poser des questions vraiment aux mauvaises personnes. (Un petit exemple spécialement dédicacé à sa soeur jumelle : un jour, alors qu'Hypnos était encore un jeune enfant curieux (il y a juste deux ans en fait), il a croisé un certain être célèste, nommé Priam. N'ayant, jusqu'ici, pas beaucoup discuté avec ces êtres, il lui demanda avec curiosité comment ils se reproduisaient. Vous imaginez la réponse ? Non ? Et ben Priam non plus.)

La Courtisane se retourna vers Hypnos, s'appuyant nonchalamment au miroir et jaugeant des pieds à la tête son interlocuteur. Bon, il avait pas l'air trop réveillé mais ça, ça paraissait à peu prés logique. Devant sa demande de rester debout plus longtemps, la guerrière haussa les épaules. Le lendemain, elle n'avait ni mission ni entraînement, se contentant de sa fonction de Courtysane qui n'avait rien de passionnant. Alors... elle pouvait bien passer une nuit blanche de plus ! Elle avait retenu un rire en l'entendant parler de la sorte des gardes. Il était vrai que ces hommes avaient plus de chances de retenir l'attention de la Paresse que du Sommeil.

_ Ne vous en faîtes pas, cela ne me dérange pas. Une heure de plus ou de moins, je ne vois plus trop la différence...

Ses yeux se baissèrent doucement vers le sol, comptant les dalles sans les voir tandis que son visage prenait une expression plus douce. Elle n'aimait pas se sentir aussi démunie face à quelqu'un, mais il avait un côté rassurant, enfantin, qui la mettait à l'aise. Par certains côtés, il lui rappelait son fils pour l'instant endormi. Eda... Il faudrait qu'elle fasse attention à ne pas le réveiller, en rentrant, il était encore fatigué par sa dernière métamorphose, la nouvelle lune était il y a trois jours...

_ J'espère qu'il dort bien, lui...

Elle avait murmuré pour elle-même, inquiète pour celui qu'elle considérait comme son fils, et secoua la tête, le silence lui rappelant qu'Hypnos lui avait posé une question. Et qu'elle ferait bien d'y répondre en vitesse. Qu'est-ce qu'il avait demandé, déja ? Ah oui, la Paresse... Où elle pouvait être... Qu'est-ce qu'elle en savait ! L'etre Céleste refréna un mouvement d'humeur qui aurait pu l'amener à se blesser pour se calmer, respirant calmement, ses yeux bleu lumineux fermés, puis les rouvrit paresseusement, fixant sans ciller la Déité en face d'elle.

_ Je n'ai pas la moinre idée de l'endroit où elle se trouve, navrée. Cependant, il y a fort à penser qu'elle n'est pas au Castel.

Bah oui, si elle avait été au Castel, on l'aurait sûrement trouvée en train d'errer ou de sommeiller dans un coin, et si elle dormait, il l'aurait senti, non ? De plus, les soldats tenaient encore debout, du peu qu'elle en avait vu en arrivant, donc... une idée se fit jour dans son esprit à la logique immensément étrange, et pourtant si simple parfois.

_ Vous devriez essayer de deviner si elle est en train de dormir. Si c'est le cas, vous pourrez peut-être deviner approximativement l'endroit où elle est, non ?

Bon, d'accord, elle surestimait peut-être les pouvoirs du Sommeil, mais elle ne l'avait jamais rencontré en personne auparavant, alors...Fallait bien tenter sa chance !