Alors qu’elle cherchait désespérément des yeux un moyen de s’enfuir de nouveaux cris retentirent. Mais ceux-ci, bien loin d’être hystériques étaient plus autoritaires qu’autre chose. La petite foule qui s’était amassée devant elle s’écarta pour laisser la place à une petite femme. Celle-ci n’était pas très belle bien qu’on discerna dans ses gestes une grâce peu commune. Elle se mouvait avec souplesse en dépit de son grand âge et transportait avec elle une telle aura d’autorité qu’elle aurait voulu disparaître sous terre plutôt que d’affronter cette femme. Ses cheveux blancs coiffés avec goûts étaient reliés en un chignon compliqué placé sur le sommet de son crâne. Ses petits yeux gris dans lesquels on distinguait une pointe de ruse étaient subtilement mis en valeur par une touche de maquillage rose pâle. Celui-ci enfin rappelait les élégants vêtements et néanmoins pratiques qu’elle portait. Tout dans cette femme rappelait une beauté de jeunesse fanée par le temps mais néanmoins toujours présente.
La vieille femme l’examina un instant, faisant glisser ses yeux de fouine des pieds à la tête de la jeune fille. Celle-ci avait un peu l’impression d’être disséquée mais ne bougea pas d’un poil, de peur de provoquer la colère de ce démon. Au bout d’un minute, la vieille femme plissa le nez et leva les yeux pour les plonger dans les siens. Sa voix grave et légèrement chevrotante retentit dans la salle si bien qu’elle se demanda si m’aime les mouches s’étaient arrêtée de voler pour la laisser parler.
« Qui es-tu ? Que viens-tu faire ici ? Et surtout, elle avisa l’accoutrement de son interlocutrice, d’où viens-tu ? »
Elle luttait pour ne pas s’enfuir en courant. Mais pourquoi avait-il fallut qu’elle s’enfuie des cuisines ? Elle y était si bien…
Sa gorge sèche n’avait pas prononcé un mot depuis longtemps si bien que sa voix était assez rauque et cassée. Cela lui fit bizarre de s’entendre parler mais elle préféra laisser la découverte de sa voix à une autre fois. Pour l’instant, il fallait qu’elle se sorte de là.
« …Je…Je…Je suis désolé de vous avoir dérangé… Je…J’ai entendu de la musique et je suis venue… Vraiment désolé ! »
Un léger plissement des sourcils de la part de la vieille femme lui apprit qu’elle n’était pas satisfaite de sa demi-réponse. Elle inspira brièvement. A tous les coups, on n’allait pas la croire. Il faut dire que le coup de la perte de la mémoire, était un peu démodé pour les excuses…
« …Je ne sais pas qui je suis… désolé… Ni d’où je viens d’ailleurs. Mon premier souvenir vient des cuisines ! »
Mieux valait ne pas préciser que c’était des cachots d’où venait son premier souvenir. Elle voulait disparaître rapidement, pas retourner dans cette pièce sombre !
Bizarrement, la vieille femme se contenta de lever un sourcil à l’annonce de sa perte de mémoire. De toute façon, elle n’aurait pas vraiment eu le temps de dire quelque chose car à ce moment là, la porte de la salle claqua fortement, laissant la cuisinière toute essoufflée sur le pas de la porte.
« Pfff…pff… Enfin je te retrouve sale gamine ! Non mais qu’elle idée de partir comme ça des cuisines alors que je dois te surveiller ! Tu veux vraiment que je finisse dans un des estomacs de nos seigneurs ?!? Allez viens, je te ramène tout de suite. »
Alors qu’elle s’apprêtait à rejoindre la cuisinière en colère –elle la préférait toujours à l’autre vieille- la petite femme lui fit signe de s’arrêter et s’avança vers la nouvelle arrivante.
« Bonjour Clothilde. Dites-moi, cette jeune fille n’est pas dangereuse ? Je veux dire… Ce n’est pas une voleuse ou quoi que ce soit d’autre ?
- Ah ! Je ne vous avais pas vue Dame Amaryce. Non non ! C’est juste une gamine à la cervelle de moineau qu’on m’a demandé de surveillée en attendant qu’on lui trouve quelque chose à faire. »
La dénommée Amaryce sembla réfléchir un instant puis fit signe à la cuisinière de se baisser et lui dit quelque chose à l’oreille. Clothilde haussa les épaules et repartit vers la porte.
« C’est comme vous voulez Dame Amaryce. Ca ne me fera qu’un ennuie en moins. »
Son interlocutrice hocha la tête puis se retourna vers elle. Elle sentit de nouveaux les petits yeux de souris l’examiner des pieds à la tête et regretta aussitôt que le départ de la cuisinière.
Ce qui suivit ensuite s’enchaîna tellement vite qu’elle eu du mal à suivre. Dame Amaryce lui fit signe de la suivre et ordonna aux danseuses et à l’orchestre de reprendre la répétition –ce devait être elle qui les dirigeaient car tous obéir aussitôt-. Toutes les deux, elle sortirent de la salle de bal pour rejoindre les escaliers principaux et ainsi, le premier étage. Elle l’entraîna dans un nouveau couloir richement décoré où ses yeux ne faisaient que sauter de merveille en merveille.
Elles arrivèrent enfin devant une porte de taille respectable qui s’ouvrit quand elles furent devant elle. Un serviteur –encore un loup garou- s’écarta pour les laisser passer et referma la porte derrière elle. La vieille femme fit ensuite signe à trois servante qui attendait des ordres.
« Nettoyez-moi ça » dit-elle en leur désignant la jeune fille.
Celle-ci ouvrit de grands yeux interrogateurs mais ne prononça pas un mot. Les trois femmes l’entraînèrent dans une salle de bain énorme. Elles entreprirent ensuite de la déshabiller et la firent entrer dans l’eau.
Elle savoura le contact brûlant de l’eau sur sa peau et ferma les yeux un instant. Juste un instant car juste après l’une des femmes commença à la frotter énergiquement avec un morceau de savon. Elle la repoussa gentiment et récupéra le savon. Elle pouvait se laver seule quand même !
Il lui fallut une bonne heure de frottage, de rinçage etc. Pour qu’elle reprenne figure humaine. Dès qu’elle fut sortit du bain, celle qui avait tentée de la savonner –sûrement la plus courageuse des trois en fait- saisit une brosse et s’attaqua à ses longs cheveux bruns complètement emmêlés. Là encore, il fallut une bonne demi heure de bataille acharnée pour en venir à bout. Pour finir, on lui passa une robe simple mais de bonne facture d’une jolie couleur bleu ciel. Quand elle se regarda dans la glace, cette fois-ci, elle se sentit vraiment jolie.
Quand elle rejoints la pièce principale des appartements de Dame Amaryce, elle trouva celle-ci en train de lire un livre dans un des fauteuil en velours. En l’entendant arrivée, elle leva un œil, se remit à lire la fin de son paragraphe et déposa l’ouvrage sur la table. Elle, elle n’avait pas bougée d’un millimètre. Tout dans cette pièce était à la fois raffiné et luxueux et elle avait vraiment trop peur de casser quelque chose pour émettre le moindre geste ou parole.
La petite femme se leva et fit le tour de la jeune fille, l’examinant pour la troisième fois. Seulement cette fois-ci, un petit sourire satisfait apparue aux commissures de ses lèvres. Elle eu un peu peur que celui-ci n’annonce rien de bon mais Dame Amaryce se contenta d’aller se rasseoir dans son fauteuil. Néanmoins, elle ne la quitta pas un seul instant des yeux.
« Hum… Cette robe met parfaitement tes yeux en valeur. Puisque tu n’as pas de nom, tu seras Kawara. Cela signifie lit de rivière asséchée dans le pays d’où je viens. Rivière car tes yeux ont sa couleur et asséché car ta mémoire est vide. »
Kawara –nouvellement nommée- avait tout d’abord été surprise par ce choix. Mais finalement, elle aimait bien ce nom et approuva le choix de la vieille femme d’un signe de la tête. De toute façon, jamais elle n’aurait osé la contre dire, elle lui faisait bien trop peur !
« Bon, je vais maintenant t’expliquer qui je suis. Je m’appelle Dame Amaryce, comme tu as pu t’en rendre compte, et je suis aussi de sang noble. Enfin bon, si cela pouvait encore être utile… »
Elle émit un faible soupir mais Kawara n’aurait su dire si celui-ci était déçut ou dédaigneux. De toute façon, elle s’en fichait un peu. Alors comme ça les vampires existaient aussi ? Waouh ! C’était complètement incroyable !
« Au lieu de passer des heures à ne rien faire j’ai, en vieillissant, décidé de m’occuper des danseuses du Castel. Vu que visiblement, c’est ça où devenir l’esclave d’un noble quelconque, je te propose de devenir danseuse. Enfin bon, rien n’est encore dit. Si ça se trouve tu n’as absolument aucun talent pour ça et tu retournera aux cuisines avant la fin de la semaine. Mais si tu me plais, tu deviendras l’élève de l’une de mes danseuses jusqu’à ce que je te juge digne de devenir l’une d’elles. Alors ? »
Kawara n’arrivait pas très bien à comprendre ce qui lui arrivait. Néanmoins, elle était sûre d’une chose : elle ne voulait pas devenir esclave. Et puis, pouvoir un jour danser comme les femmes qu’elle avait vu quelques heures auparavant était une perspective qui lui plaisait énormément… même si elle doutait d’arriver un jour à une telle perfection.
***
Kawara, cachée dans l’ombre d’une colonne, guettait sa proie.
Cela ferait bientôt un an que sa nouvelle mémoire s’était mise en place. Elle avait apprit à s’adapter à son nouvel environnement au point d’être arrivée à faire partit du décor. Vu qu’elle était naturellement curieuse, elle avait réussit à récupérer un maximum d’information sur le Castel et l’Empyr en un minimum de temps. Elle avait d’ailleurs tellement saoulé Dame Amaryce avec ses questions que celle-ci avait dû lui empêcher l’entrée de ses appartements pendant un mois et demi avant qu’elle ne se calme. Elle savait ainsi un tas de chose sur les loups garou et les lycans, les vampires et les êtres célestes et les sorcières qu’elle avait découverts en cours d’année. Toutes ces espèces différentes et pourtant vivant dans un même lieu la fascinait. D’ailleurs, elle entendait encore Dame Amaryce râler sur sa manie de poser trente six les mêmes questions afin d’être sûre d’avoir bien out compris.
D’après ce qu’elle disait quelques fois, elle n’aurait jamais dû accepter de la prendre comme élève en mars et aurait dû la laisser croupir en tant qu’esclave ou amuse-gueule pour vampyr. Mais Kawara qui savait très bien qu’elle n’en pensait rien éclatait toujours de rire à la fin de ses tirades. Son rire enfantin avait alors pour effet de la calmer et même quelques fois, de la faire rire.
Les premiers jours avaient été les plus difficiles car elle ne connaissait encore rien à la danse et était encore faible. Mais avec le temps, Dame Amaryce s’était rendue compte que la jeune fille avait toutes les qualités nécessaires pour devenir une bonne danseuse. Certes elle était un peu vieille pour débuter dans ce métier mais vu que Kawara faisait naturellement preuve de grâce et de souplesse, cela ne posa pas vraiment problème. On aurait presque dit qu’elle avait fait ça toute sa vie mais sans jamais n’avoir aucune technique. C’était…étrange.
Au cours de cette année, Kawara avait aussi remarqué quelque chose d’essentiel : quelqu’un ne voulait pas qu’elle sorte de l’enceinte du Castel. Elle avait tout essayé du déguisement au passage dérobé. Il y avait toujours quelqu’un pour la rattraper au dernier moment. C’était à croire que cette personne arrivait à lire dans son esprit. Cela l’énervait au plus au point car elle ne pouvait pas visiter l’Empyr dont on lui parlait tant. D’un autre côté, la personne qui la retenait prisonnière devait être assez haut placée. De plus, cela devait sûrement avoir un lien avec le fait qu’elle se soit réveillée dans une cellule. Ce quelqu’un savait qu’elle était devenue inoffensive et l’avait donc libérée…en apparence… car il fallait toujours qu’elle puisse garder un œil sur elle en cas de problème. Kawara avait trouvé cette explication satisfaisante et avait un petit peu diminué ses tentatives d’évasions.
En tant qu’apprentie danseuse officielle –et prisonnière non officielle- Kawara avait le droit de loger au Castel. Au début, c’était Dame Amaryce qui l’avait logée dans ses appartements puis on lui avait trouvé une petite chambre dans le quartier des domestiques. C’était petit mais elle préférait cela aux immenses chambres pleines de luxe.
Durant cette longue année, la vie avait été assez mouvementée au Castel. A commencée par le mariage de l’Empereur et de la Reine Shiraha. Bien sûr l’Impératrice ne l’avait pas très bien prit et avait hurlé partout pendant au moins un mois, rendant les répétitions quasi-impossible en raison du bruit. Kawara ne savait pas trop quoi penser de l’Impératrice. Elle était belle, merveilleusement belle. Mais sont caractère était assez…spéciale. D’un côté, la jeune fille la comprenait. Ce devait causer un choc d’apprendre que son époux s’était remarié avec votre pire ennemie. Ensuite venait la belle et douce Shiraha. En la voyant la première fois, le cœur de la jeune danseuse s’était empli de respect sans qu’elle ne sache pourquoi.
Et puis il y avait l’Empereur, Méphystophélès, le détenteur des deux yeux de nuit qui l’avait éveillée de son cauchemar, celui qu’elle n’oublierait jamais. Kawara éprouvait une totale vénération vers ce vampyr au sang pur et affreusement beau. Dès qu’il apparaissait dans son champ de vision, elle disparaissait derrière le mur le plus proche et l’observait en cachette. Il ne l’avait regardé qu’une seule fois après l’épisode du cachot. Au moment où leurs yeux s’étaient croisés –par pur hasard- Kawara était devenue rouge pivoine et avait littéralement cessée de respirer. Il avait fallut qu’une de ses amies lui donne une claque pour la réveillée.
Aujourd’hui encore, elle l’attendait.
Bien sûr, il lui arrivait de passer des jours dans ses appartements sans voir personne mais aujourd’hui, elle le savait, elle le verrait.
Au loin, un cri suraigu retentit. Sûrement Lyge, l’Infante Impériale… Kawara avait rarement eu l’occasion d’avoir affaire aux deux enfants impériaux. Heureusement pour elle d’après ce que disait les rares esclaves qui revenait de leurs appartements. Ils étaient apparurent en plein hiver et n’avaient pas cessé de pousser depuis. Aujourd’hui, quelques mois à peine après leur naissance, voilà qu’ils approchaient déjà de l’adolescence ! D’après les rumeurs, cette brusque croissance était due aux diverses potions que leur père leur avait fait boire. Peut-être n’aimait-il pas les enfants ? Pourquoi en avoir fait alors ? D’après ce qu’elle avait glané comme informations, une vampyr ne pouvait pas avoir d’enfant. Méphystophélès avait donc dû se prendre pour Frankenstein sur sa femme pour qu’elle soit capable de donner la vie. Mais tout cela ne tenait pas vraiment debout. Enfin bon, d’un autre côté ce vampyr chaotique, fou a lié et pourtant terriblement attirant était capable de tout. Kawara en avait eu la preuve lors du massacre de HeavenDream.
Quand elle avait entendue l’annonce de la réussite de cette brusque invasion, son ventre s’était tordu sans qu’elle sache pourquoi. Bien sûr, la mort de tant de gens ayant pour cause la folie des grandeurs de celui qu’elle vénérait l’aurait choqué de toute façon. Mais là… c’était comme si elle avait été directement concernée. Comme si elle avait connue ces personnes, ou dû moins, qu’elle était de leur côté. C’était assez difficile à expliquer. D’un côté, toute sa vie depuis qu’elle avait ouvert les yeux ne tournait qu’autour de Méphystophélès, de la danse et du Castel. De l’autre il y avait ce sentiment étrange de se trahir à chaque fois qu’elle faisait un pas dans la demeure impériale. Mais bon, elle avait finit par s’habituer à cette sensation étrange.
La porte s’ouvrit. Elle avait vu juste. Cette nuit l’Empereur l’avait passé en compagnie de sa première femme, une fois n’est pas coutume. Il portait comme toujours son léger sourire sur les lèvres, mi sadique, mi amusé. Comme à chaque fois, le voir apparaître fit rougir la jeune fille jusqu’aux oreilles. Heureusement qu’elle s’était cachée, sinon, elle aurait risqué la mort par asphyxie !